La Bibliothèque sainte

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À propos du LEHR

Le Laboratoire d’études sur les rhétoriques (Mondes byzantin et ottoman) est un institut de recherche et de formation indépendant basé en Suisse dont l’objectif principal est de poursuivre l’étude comparée de l’enseignement des arts du langage (grammaire, dialectique, rhétorique) aussi bien dans les écoles byzantines que dans les écoles post-byzantines, autrement dit les écoles grecques dans l’Empire ottoman.

Le LERH s’articule autour de deux axes complémentaires. Premier axe : proposer à terme la traduction intégrale de l’œuvre conservée de Néophyte le Reclus (1134-v.1220), un moine byzantin illettré, auteur d’une œuvre rhétorique abondante conçue pour l’édification de ses disciples. Second axe : proposer des formations centrées sur les techniques de l’argumentation, de la réfutation et de la rhétorique.

La Bibliothèque sainte

Cite this article as: Grégoire Sommer, « La Bibliothèque sainte, » in Enkleistra, 03/02/2024, https://enkleistra.ch/la-bibliotheque-sainte

La bibliothèque de l’Enkleistra est passée à la postérité sous le nom de « Bibliothèque sainte ». Dans un important travail de doctorat portant sur le Livre des catéchèses, Georges Christodoulou rappelle à propos de cette dénomination qu’on la doit à Ioannis Tsiknopoullos, éditeur infatigable de l’oeuvre restante de Néophyte le Reclus, qui la réinvente d’après une note datée trouvée au verso du folio 18 du Parisinus graecus 1106[1]. Daté en grande partie du XIe siècle, ce manuscrit a été intégré tardivement à la bibliothèque de l’Enkleistra. On y apprend qu’un certain Niphon fit don à la « Bibliothèque sainte » de l’Enkleistra (εἰς τὴν ἁγίαν μονὴν Ἐγκλείστρας, εἰς τὴν ἁγίαν βιβλιοθήκην τῆς ἁγίας αὐτῆς μονῆς) d’un manuscrit rapportant des œuvres de Jean Damascène[2]. Selon l’usage, il en profite pour menacer de la malédiction des pères du concile de Nicée quiconque viendrait à le soustraire[3]. Voici le texte :

Ἐγὼ Νήφων ταπεινός, ἀφιερώνω τὸ παρὸν βιβλίον τοῦ ἁγίου Ἰωάννου τοῦ Δαμασκηνοῦ εἰς τὴν ἁγίαν μονὴν Ἐγκλείστρας, εἰς τὴν ἁγίαν βιβλιοθήκην τῆς ἁγίας αὐτῆς μονῆς· καὶ εἶτις βουληθῆ ὑστερίσαι αὐτὸ ἐκ ταύτης παρ´ἐμοί εἴη ἀνάθεμα καὶ τῶν ἁγίων πατέρων τῆς ἐν Νικαίᾳ συνόδου τὸ ἐπιτίμιον.

Moi, l’humble Niphon, je dédie le présent livre de saint Jean Damascène au saint monastère de l’Enkleistra, à la Bibliothèque Sainte de ce même monastère et, si quelqu’un voulait le soustraire, qu’il reçoive ma malédiction ainsi que la punition venant des saints pères du synode de Nicée.

La dénomination « Bibliothèque sainte » n’apparaît donc pas directement dans l’oeuvre restante du Reclus de Chypre, mais, au chapitre 16 de la Règle de 1214, ce dernier parle de sa sainte Enkleistra. Voici le texte :

Πρῶτον μὲν Χριστῷ τῷ Θεῷ μου καὶ τῇ ἀχράντῳ μητρὶ αὐτοῦ καὶ τῷ θείῳ τούτου σταυρῷ παρατίθημι τόνδε τὸν τόπον τῆς ἁγίας μου Ἐγκλείστρας […]

Tout d’abord, je confie ce lieu de ma sainte Enkleistra au Christ Dieu, à sa mère non souillée et à sa croix divine.

Néophyte le Reclus, Règle, 16,1, in Œuvre de Néophyte le Reclus, Paphos, 1998, p. 47

Georges Christodoulou rappelle en outre que l’expression « ma sainte Enkleistra (ἡ ἁγία μου Ἐγκλειστρα) » se trouve dans une note de Néophyte le Reclus au verso du folio 135 du Coislianus 71 : « (…) προτοῦ φθάσει δοθῆναι πρὸς τὴν ἁγίαν μου Ἐγκλειστραν »)[4]. Plusieurs notes marginales attestent de l’appartenance de ce manuscrit à la bibliothèque de l’Enkleistra.

La dénomination « Bibliothèque sainte » proposée par Ioannis Tsiknopoullos, qui sera adoptée par les néophytologues, est heureuse, car elle rappelle qu’avec l’Enkleistra, Néophyte le Reclus est porteur d’un projet pédagogique ambitieux. La grotte dans laquelle il se retira du monde, en 1159, à l’âge de 25, devint au fil des ans un monastère troglodyte pourvue d’une bibliothèque et d’un scriptorium. C’est là que, devenu higoumène, il se lança dans un chantier d’envergure : mettre par écrit les résultats auxquels il parvint à l’issue d’une longue observation de l’activité psychique[5], tout en apportant une attention soutenue à la construction de son leadership[6].C’est là qu’il fit copier son œuvre. C’est là qu’il forma ses disciples.

[1]. Georges Christodoulou, Le Livre des catéchèses de Saint Néophyte le Reclus : texte et commentaire historique, Travaux et Mémoires VII, Nicosie, 2009, p. 57 ; Ioannis Tsiknopoullos, Κίνητρα καὶ πηγαὶ τοῦ συγγραφικοῦ ἔργου τοῦ Ἐγκλείστου Ἁγίου Νεοφύτου. Ἡ Ἁγία Βιβλιοθήκη, Κυπριακαί Σπουδές 18, 1954, p. 73-92.
[2]. Cf. François Halkin, Manuscrits grecs de Paris. Inventaire hagiographique (Subsidia Hagiographica 44), Bruxelles, 1968, p. 113 et Georges Christodoulou, op. cit., Nicosie, 2009, p. 124, note 1.

[3]. Georges Christodoulou, Le Livre des Catéchèses de saint Néophyte le Reclus : texte et commentaire historique, Fondation de l’Archevêque Macarios IV, Travaux et Mémoires VII, Nicosie, 2009, p. 114.

[4]. Georges Christodoulou, Le Livre des Catéchèses de saint Néophyte le Reclus : texte et commentaire historique, Fondation de l’Archevêque Macarios IV, Travaux et Mémoires VII, Nicosie, 2009.
[5]. Néophyte le Reclus, Dix discours à propos des commandements, III, 105-186, in Œuvres…, Paphos, t. IV, 2001, p. 65-68.

[6]. Néophyte le Reclus, Commentaire sur l’Hexaéméron, III, 105-186, in Œuvres…, Paphos, t. IV, 2001, p. 65-68 ; Règle, III, 105-186, in Œuvres…, Paphos, t. II, 2001, p. 65-68.

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